Fernand, Édouard, Théophile, Boulanger, né le 22 février 1905 à Amiens (Somme), domicilié à Amiens, mort à Auschwitz le 6 janvier 1943.

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Vers 1942 ; extrait de la photo ci-dessous.
Collection Claude Léraillé. D.R.

Fernand, Édouard, Théophile, Boulanger naît le 22 février 1905 à Amiens (Somme – 80), fils de Gaspard Boulanger, plombier, et de Céline Lourdel. Plus tard, ceux-ci habitent Montreuil-sous-Bois (93).

Pendant un temps, Fernand Boulanger travaille comme émailleur.

Le 15 décembre 1928, il se marie avec Yvonne, Camille, Roger, née à Amiens le 14 février 1907, émailleuse. Tous deux sont employés par les établissements René Gaillard (Usine de Traitement de Surface des Métaux), entreprise d’émaillage fabriquant des panneaux et signaux pour travaux publics, dont l’usine est installée au coin des rues de la Boutillerie et René Boileau (aujourd’hui transformée en supérette).

Le couple a une fille, Fernande, Céline, née le 21 mai 1930.

Le 15 octobre 1929, Fernand Boulanger est embauché par la Compagnie des chemins de fer du Nord.

Yvonne Boulanger décède de maladie le 27 juillet 1931.

Le 29 septembre 1934 à Amiens, Fernand Boulanger épouse en secondes noces Fernande, Malvina, Guelque, née le 30 mai 1912 à Éperlecque (Pas-de-Calais), femme de chambre. Ensemble, ils ont un fils, Daniel, né le 19 septembre 1937.

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Vers 1942, Fernande et Fernand Boulanger,
et leurs enfants, Daniel et… Fernande.
Collection Claude Léraillé. Droits réservés.

Au moment de l’arrestation du chef de famille, celle-ci est domiciliée au 179, rue de Boutillerie à Amiens (dans la portion de rue rebaptisée Raymond Gourdain [1]).

Cheminot, Fernand Boulanger est alors chauffeur de manœuvre au dépôt SNCF d’Amiens.

Façade de la gare d’Amiens dans les années 1920. Carte Postale. Collection Mémoire Vive.

Façade de la gare d’Amiens dans les années 1920.
Carte Postale. Collection Mémoire Vive.

Avant guerre, sa hiérarchie, qui ne l’apprécie guère, « signale » (à qui ?) Fernand Boulanger comme communiste militant.

Le 15 mars 1940, il est mobilisé comme soldat après avoir été rayé de l’Affectation spéciale par l’autorité militaire.

Le 8 mai 1942, Fernand Boulanger est arrêté par la police allemande à la suite d’un double sabotage effectué le 30 avril ayant notamment immobilisé la grue de relevage (32 tonnes) du dépôt [2]. Fernand Boulanger est écroué à la Maison d’arrêt d’Amiens « à la disposition des autorités allemandes » et fait partie des quatorze cheminots du dépôt SNCF gardés en représailles.

Dans une notice individuelle rédigée ultérieurement, la police française indique : « N’a jamais attiré sur lui l’attention (…) du point de vue politique ; aurait manifesté des sentiments front populaire » (sic).

Le 10 juin, ils sont dix cheminots (dont neuf futurs “45000”) [3] à être transférés au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).

La caserne de Royallieu en 1957 ; au deuxième plan, alignés transversalement, les six grands bâtiments du quartier C. Isolés par une clôture de barbelés, ils ont constitué le “camp juif” du 13 décembre 1941 au 6 juillet 1942. Ensuite, ils ont servi au regroupement des détenus pour le prochain convoi en partance. L’enceinte et les miradors du camp ont disparu (les deux hangars en bas à gauche n’existaient pas). Carte postale. Coll. Mémoire Vive.

La caserne de Royallieu en 1957 ; au deuxième plan, alignés transversalement, les six grands bâtiments du quartier C.
Isolés par une clôture de barbelés, ils ont constitué le “camp juif” du 13 décembre 1941 au 6 juillet 1942.
Ensuite, ils ont servi au regroupement des détenus pour le prochain convoi en partance.
L’enceinte et les miradors du camp ont disparu (les deux hangars en bas à gauche n’existaient pas). Carte postale. Coll. Mémoire Vive.

Au cours du mois de juin 1942, Fernand Boulanger est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

Les deux wagons à bestiaux du Mémorial de Margny-les-Compiègne, installés sur une voie de la gare de marchandise d’où sont partis les convois de déportation. Cliché Mémoire Vive 2011.

Les deux wagons à bestiaux du Mémorial de Margny-les-Compiègne,
installés sur une voie de la gare de marchandise d’où sont partis les convois de déportation.
Cliché Mémoire Vive 2011.

Tergnier, Laon, Reims… Châlons-sur-Marne : le train se dirige vers l’Allemagne. Ayant passé la nouvelle frontière, il s’arrête à Metz vers 17 heures, y stationne plusieurs heures puis repart à la nuit tombée : Francfort-sur-le-Main (Frankfurt am Main), Iéna, Halle, Leipzig, Dresde, Gorlitz, Breslau… puis la Pologne occupée. Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet 1942, Fernand Boulanger est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I), sous le numéro matricule 45284 d’après les listes reconstituées et par comparaison avec un portrait civil.

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À Auschwitz-I, le 8 juillet 1942.
Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau,
Oświęcim, Pologne.
Coll. Mémoire Vive. Droits réservés.

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib (le premier créé).

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.

Le 13 juillet, après l’appel du soir, Fernand Boulanger est dans la moitié des déportés du convoi ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp, selon le témoignage d’un rescapé non identifié.

Portail de l’entrée principale d’Auschwitz-I , le “camp souche” : « Arbeit macht frei » (le travail rend libre).  Carte postale. Collection mémoire Vive. Photo : Stanislas Mucha.

Portail de l’entrée principale d’Auschwitz-I , le “camp souche” : « Arbeit macht frei » (le travail rend libre).
Carte postale. Collection mémoire Vive. Photo : Stanislas Mucha.

Il meurt à Auschwitz le 6 janvier 1943 [4], d’après l’acte de décès établi par l’administration SS du camp (Sterbebücher), qui indique pour cause, très probablement mensongère, de sa mort « arrêt du cœur par pneumonie » (Herzschwäche bei pneumonie).

La mention « Mort pour la France » est portée en marge de son acte de décès par une lettre du ministère des Anciens combattants datée du 19 juin 1947.

La mention « Mort en déportation » est portée en marge de son acte de décès par l’arrêté du secrétariat d’État chargé des Anciens combattants et Victimes de guerre daté du 17 septembre 1987.

Son fils Daniel décède à Amiens le 16 mars 2016, ayant demandé à ce que son corps soit incinéré.

Notes :

[1] Rue Raymond Gourdain : partie haute de l’ancienne rue de Boutillerie, vers la rue de Cagny, renommée par délibération du Conseil municipal du 26 octobre 1956 en vue de perpétuer le souvenir du jeune résistant Raymond Gourdain, fusillé au Mont Valérien le 21 mars 1942 (?) à l’âge de 21 ans (source : Arch. municipales d’Amiens).

[2] Le sabotage du 1er mai 1942 (fête du travail) : dans la nuit du 30 avril au 1er mai, vers 23h50, à l’occasion d’un retrait aux abris du personnel lors d’une alerte aérienne, la chaudière de la grue de secours a été endommagée par un explosif (cheddite) et une locomotive a été mise en marche dans la rotonde des machines afin que sa partie avant vienne bloquer le chemin de roulement (un courrier allemand dramatise en rapportant qu’elle est « tombée dans la fosse tournante ». Des tracts communistes ont été trouvés éparpillés autour de la machine et dans d’autres parties des ateliers : « 1er Mai 1942, contre les oppresseurs, contre la politique de fascisme, de trahison et de misère du Gouvernement de traîtres de Vichy, en souvenir de nos héros, Jean Catelas et Semard, morts pour que la France vive, ne travaillez pas de 9 heures à 9 h.15 ». Ces tracts ont été remis aux autorités allemandes arrivées sur les lieux quelques instants après qu’ait été constaté le sabotage.

Le matin suivant, une mine antichar reliée à une pile électrique est découverte par un cantonnier sur la voie entre Amiens et Tergnier près de la gare de Longueau, placé dans une courbe à proximité d’un pont. Le dispositif n’a pas fonctionné et la circulation des trains est poursuivie par les voies de garage. L’engin est enlevé dans l’après-midi par les services allemands,

Le commandant de la Feldkommandantur 580 d’Amiens précisera ultérieurement (8 mai) au préfet de la Somme que l’ordre d’arrestation des premiers otages ne provient pas de lui, mais a été exécuté « sur ordre d’un service supérieur ».

[3] Les neuf futurs “45000” transférés à Royallieu sont : Roger Allou et Clovis Dehorter, de Camon ; Émile Poyen, de Longeau ; Paul Baheu, Fernand Boulanger, Fernand Charlot, Albert Morin, Georges Poiret et François Viaud, d’Amiens (ce dernier étant le seul rescapé des “45000” d’Amiens, Camon et Longueau).

Le dixième cheminot interné à Compiègne est Joseph Bourrel, mécanicien de manœuvre, domicilié au 102 rue Richard-de-Fournival à Amiens. Son sort en détention reste à préciser (il n’est pas déporté, selon le mémorial FMD)…

Un onzième cheminot reste à la prison d’Amiens, Jean Mayer, ouvrier au dépôt, domicilié au 36 rue Capperonnier à Amiens, arrêté la nuit même de l’attentat. Il est probablement condamné par un tribunal militaire allemand. Le 26 avril 1943, il est transféré dans une prison du Reich à Fribourg-en-Brisgau. Il est libéré à Creussen le 11 mai 1945.

[4] Différence de date de décès avec celle inscrite sur les actes d’état civil en France : Dans les années qui ont suivi la guerre, devant l’impossibilité d’obtenir des dates précises de décès des déportés, mais soucieux d’établir les documents administratifs nécessaires pour le versement des pensions aux familles, les services français d’état civil – dont un représentant officiait au ministère des Anciens combattants en se fondant sur diverses sources, parmi lesquelles le témoignage approximatif des rescapés – ont très souvent fixé des dates fictives : le 1er, le 15, le 30, le 31 du mois, voire le jour (et le lieu !) du départ. S’agissant de Fernand Boulanger, c’est le 15 décembre 1942 qui a été initialement retenu pour certifier son décès. Leur inscription sur les registres d’état civil rendant ces dates officielles, certaines ont quelquefois été gravées sur les monuments aux morts.

Sources :

- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, Éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 127 et 128, 369 et 396.
- Archives départementales de la Somme, Amiens : correspondance de la préfecture sous l’occupation (26w592).
- Discussion avec Claude Leleu (Fargniers le 1-03-2014).
- Messages de Claude Léraillé, petit-fils de Fernand et Yvonne Boulanger, fils de Fernande (3-2014, 04-2016).
- Jehan Sauval, site internet Amiens, historique de notre ville, index des rues.
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 2, page 123.
- Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Oświęcim, Pologne, Bureau d’information sur les anciens prisonniers (Biuro Informacji o Byłych Więźniach) : copie de l’acte de décès du camp (625/1943).
- Base de données des archives historiques SNCF : service central du personnel, agents déportés déclarés décédés en Allemagne, de A à Q (0110LM0108).
- Cheminots victimes de la répression 1940-1945, mémorial, ouvrage collectif sous la direction de Thomas Fontaine, éd. Perrin/SNCF, Paris, mars 2017, pages 241-242.

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 26-09-2023)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous dispose (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.