Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz lors de l’évacuation du camp en janvier 1945. Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz
lors de l’évacuation du camp en janvier 1945.
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Natale Alfonso Tomaso Passeri naît le 29 décembre 1898 à Gualdo Tadino, au Nord d’Assise (Italie), fils de Luigi Passeri, ouvrier agricole, et de Carolina Becchetti (?). Il a cinq frères et sœurs, dont l’aîné (Roberto ?) partira travailler comme mineur aux U.S.A.

De 1916 à 1920, il est mobilisé dans l’infanterie italienne.

Arrivé en France en décembre 1921, il habite d’abord à Hayange (Moselle – 57), où il travaille comme manœuvre.

Le 24 mars 1923 à Hayange, Natale Passeri se marie avec Maddalena Giustiniani, née le 19 septembre 1901 à Nocera-Umbra. Ils auront quatre enfants : Angèle Félicité, née le 6 mars 1926 à Hayange, Aldina, née le 6 janvier 1929 à Audun-le-Tiche, Gustave (Liebchnecht sur le recensement de 1931 ?), né le 5 septembre 1930 à Jarny, et Flavia, née le 17 janvier 1931 à Fontoy.

Après avoir déposé leur dossier au cours de l’été 1927 – alors qu’ils habitaient à Audun-le-Tiche (57), depuis le 1er août 1928 -, le couple Passeri obtient la nationalité française par décret le 12 mars 1929 (publié au Journal officiel le 24 mars) ; le prénom de Maddalena est francisée en Madeleine.

Pendant en temps, Natale Passeri habite avec sa famille à Jarny (Meurthe-et-Moselle – 54), Il est monteur à la Compagnie Lorraine (?).

La police française l’accusera de tenir un débit de boissons dans lequel il reçoit de nombreux ouvriers mineurs et considéré comme siège de la cellule locale du Parti communiste.

Le 24 mai 1931, Natale Passeri arrive à Chatenois (Territoire de Belfort) avec sa famille, entrant à l’usine Vermot le 26 mai.

Le 28 mai, une perquisition menée à son ancien domicile (?) de Jarny amène la découverte de 25 cartouches de dynamite dans un hangar qui en dépend. Lors d’une perquisition chez un camarade italien est découverte une lettre que Passeri lui a envoyé pour lui donner sa nouvelle adresse. Le 3 juin suivant, il est arrêté par la gendarmerie de Belfort, « en vertu d’un mandat d’arrêt télégraphique [du] juge d’instruction de Briey et mis à la disposition de ce magistrat », par lequel il est « inculpé de détention d’explosifs sans autorisation et sans motifs légitimes ». Le 24 novembre 1931, le tribunal correctionnel de Briey prononce un jugement condamnant Natale Passeri à une peine de 8 mois d’emprisonnement et 500 francs d’amende. Mais le prévenu interjette appel. Le 6 janvier 1932, la Cour d’appel de Nancy l’acquitte, estimant que la preuve de sa culpabilité n’était pas suffisamment établie par le Ministère Public.

Fin janvier 1936, la Sûreté nationale signale qu’une vente de billets de loterie au profit de la guerre contre l’Éthiopie est organisée sans autorisation dans le département de Moselle par les Comités italiens du Front unique (Amsterdam-Pleyel). L’enquête précise que ces billets ont été vendus au cours d’une réunion de l’Association d’anciens combattants France-Italie organisée par Natale Passeri, dit « Pasari », alors domicilié avec sa famille au 15 rue du Roi Albert à Hayange. Connu des Services de la police spéciale (Sûreté nationale) « comme communiste militant et homme de confiance de ce Parti, il est l’objet d’une surveillance toute particulière… ».

Au moment de son arrestation, Natale Passeri est domicilié dans un petit immeuble de trois étages au 5, rue Mirabeau, dans le quartier Gare, à Homécourt (54).
Il est manœuvre, puis chef d’équipe à l’usine sidérurgique d’Homécourt.

L’usine Sidelor d’Homécourt après-guerre. Carte postale colorisée sur papier photographique. Collection Mémoire Vive.

L’usine Sidelor d’Homécourt après-guerre. Carte postale colorisée sur papier photographique. Collection Mémoire Vive.

Natale Passeri est syndiqué CGT à la Fédération des Métaux, de 1936 (il participe aux grèves) à 1939. La police note qu’il est adhérent au Parti communiste « durant quatre mois avant la guerre ».

Pendant la guerre, il est “affecté spécial” à l’usine de Wendel à Hayange.

En dernier lieu, il serait chargeur dans une entreprise de travaux publics.

Le 15 juillet 1941, le préfet de Meurthe-et-Moselle signe un arrêté ordonnant son internement administratif à la Maison d’arrêt de Briey à la suite d’une distribution de tracts communistes dans la nuit du 10 au 11 juillet (il y est gardé quinze jours). Le 2 novembre suivant, le préfet rédige un rapport préconisant la révision de sa naturalisation : « J’estime, en raison de ses antécédents au point de vue politique et de son assimilation insuffisante (sic !), qu’il y a lieu de lui retirer la nationalité française par application des dispositions de la loi du 22 juillet 1940. Cette nationalité pourrait être conservée à sa femme et à ses enfants. » La commission de révision du ministère de la Justice se conforme à cette proposition le 21 novembre ; mais le décret sera pris plus tard.

Dans la nuit du 4 au 5 février 1942, un groupe de résistance communiste mène une action de sabotage contre le transformateur électrique de l’usine sidérurgique d’Auboué qui alimente également dix-sept mines de fer du Pays de Briey. Visant une des sources d’acier de l’industrie de guerre allemande (Hitler lui-même s’en préoccupe), l’opération déclenche dans le département plusieurs vagues d’arrestations pour enquête et représailles qui concerneront des dizaines de futurs “45000”.

Le nom de “Natal” Passeri figure – n°46 – sur une « liste communiquée le 19 (février ?) au soir à la KK (Kreiskommandanturde Briey par le sous-préfet » pour préciser la nationalité de cinquante-trois hommes : il est désigné comme français (par naturalisation).

Natale Passeri est arrêté dans la « rafle effectuée dans la nuit du 19 au 20 » février par les autorités allemandes (rapport du préfet de la région de Nancy). Le lendemain, il fait partie d’un groupe d’otages transférés par la police allemande au centre de séjour surveillé d’Écrouves, près de Toul (54), en attente « d’être dirigés sur un autre camp sous contrôle allemand en France ou en Allemagne ».

Et, effectivement, le 5 mars, Natale Passeri est parmi les trente-neuf (nombre à vérifier…) détenus transférés au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).

La caserne de Royallieu après-guerre. Les huit premiers bâtiments alignés à gauche sont ceux du quartier “A”, désigné pendant un temps comme le “camp des communistes”. À l’arrière plan à gauche, sur l’autre rive de l’Oise, l’usine de Venette qui fut la cible de plusieurs bombardements avec “dégâts collatéraux” sur le camp. Carte postale. Collection Mémoire Vive.

La caserne de Royallieu après-guerre. Les huit premiers bâtiments alignés à gauche sont ceux du quartier “A”,
désigné pendant un temps comme le “camp des communistes”.
À l’arrière plan à gauche, sur l’autre rive de l’Oise, l’usine de Venette qui fut la cible de plusieurs bombardements avec “dégâts collatéraux” sur le camp.
Carte postale. Collection Mémoire Vive.

Entre fin avril et fin juin 1942, il est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

TransportAquarelle

Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet 1942, Natale Passeri est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 45950 (sa photo d’immatriculation n’a pas été retrouvée).

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib, le premier créé.

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.

Le 13 juillet, après l’appel du soir, une moitié des déportés du convoi est ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp. Aucun document ni témoignage ne permet actuellement de préciser dans lequel des deux sous-camps du complexe concentrationnaire a alors été affecté Natale Passeri.

Il meurt à Auschwitz le 18 septembre 1942, d’après les registres du camp, alors qu’a lieu une grande sélection des inaptes au travail comme otage à la suite de laquelle 146 des 45000 sont inscrits sur le registre des décès en deux jours (probablement tués d’une piqûre intracardiaque de phénol ou gazés [1]).

Le 3 août précédent, Natale Passeri et sa famille ont été déchus de la nationalité française par décret, décision publiée au Journal officiel le 18 août 1942. En octobre, convoquée à la mairie d’Homécourt, son épouse en reçoit notification par un inspecteur des Renseignements généraux : « Disons que Madame Passeri et son fils Angel, âgé de plus de 15 ans, ont été invités à prendre, en ce qui les concerne, toutes mesures nécessaires à l’exécution de ce décret, notamment au regard de la loi sur le séjour des étrangers en France. » Madeleine Passeri remet aussitôt au policier son décret de naturalisation et celui de son mari, ainsi que sa carte d’identité.

Le 3 mai 1945, “Maddalena” Passeri écrit au Garde des sceaux pour réclamer la restitution de son décret de naturalisation. En effet, faute de se voir présenter ce document, la mairie d’Homécourt lui fait des difficultés pour lui remettre des titres de rationnement. À cette date, elle est toujours sans nouvelle de son mari, ignorant s’il est encore en vie. Le 11 juillet suivant, l’ampliation du décret original de naturalisation est restitué à sa famille.

Le 2 avril 1946, à la mairie d’Homécourt, Jacques Jung et Giobbe Pasini signent conjointement une attestation selon laquelle : « Le déporté Passeri Natale est tombé malade durent la période 1942-1943 en raison de sa faiblesse générale (manque de nourriture) et du typhus. Il est rentré dans le bloc des malades et n’est jamais reparu. Le 14 août 1943, lorsque l’ordre donné par la gestapo de mettre tous les Français en quarantaine a été exécuté, il n’existait déjà plus. Le 4 juillet 1943, nous avons eu l’autorisation d’écrire, et ce malheureux, à notre connaissance, n’a jamais écrit. Nous faisions partie du convoi du 6 juillet 1942 dirigé sur Auschwitz ». Le document est entièrement dactylographié, excepté le nom du disparu, les signatures et la date de leur légalisation par le maire ; il est possible que les deux rescapés aient complétés des documents identiques pour d’autres camarades décédés (à vérifier…).

Le nom de Natale Passeri  est inscrit sur le Monument aux morts d’Homécourt. Des treize déportés “45000” de la commune, seul Jacques Jung est revenu.

Le 14 septembre 1964, Madeleine Passeri – alors domiciliée dans le New-Jersey (U.S.A.) – dépose une demande d’indemnisation en application de l’accord conclu le 15 juillet 1960 entre la République Française et la République Fédérale d’Allemagne en faveur des ressortissants français ayant été l’objet de mesures de persécution nationales-socialistes (suites inconnues…).

Notes :

[1] Les chambres à gaz du centre de mise à mort situé à Birkenau fonctionnent principalement pour l’extermination des Juifs dans le cadre de la “Solution finale”, mais, jusqu’en mai 1943, elles servent également à éliminer des détenus, juifs ou non, considérés comme “inaptes au travail” (opération commencée en avril 1941, dans d’autres camps, sous le nom de code 14 f 13). Les détenus d’Auschwitz-I sélectionnés pour la chambre à gaz sont amenés en camions à Birkenau. Quelquefois, ils attendent la mort au Block 7 de ce camp.

Sources :

- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 74, 150 et 153, 368 et 416.
- Cl. Cardon-Hamet, Mille otages pour Auschwitz, Le convoi du 6 juillet 1942 dit des “45000”, éditions Graphein, Paris nov. 2000, page 117.
- Raymond Falsetti, amicale des familles de déportés d’Homécourt (courrier 03-2009).
- Archives Départementales de Meurthe-et-Moselle, Nancy, cotes W1304/23 et WM 312 ; fiches du centre de séjour surveillé d’Écrouves (ordre 927 W) ; recherches de Daniel et Jean-Marie Dusselier.
- Archives nationales, site de Pierrefitte-sur-Seine : fichier central de la Sûreté nationale, dossiers individuels de PA à PE (19940469/088, 7245) ; dossier de dénaturalisation (BB/11/120336441 X 29) ; fiche (BB/27/1438).
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 3, page 907 (31657/1942).
- Ministère de la Défense, Division des Archives des Victimes des Conflits Contemporains (DAVCC), Caen : cartons Auschwitz (26 p 852).
- Site Mémorial GenWeb, relevé de Philippe Dezerville (01-2005).

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 22-11-2022)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous dispose (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.