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Auschwitz-I, le 8 juillet 1942.
Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau,
Oświęcim, Pologne.
Coll. Mémoire Vive. Droits réservés.

Henri Gorgue naît le 14 avril 1907 à Paris 20e, chez ses parents, Georges Gorgue, quarante ans, ouvrier-gainier, et Juliette Moullé, 28 ans, son épouse, domiciliés au 3, rue du Télégraphe. Son père, employé place de Victoires à Paris, créera l’écrin de la Médaille militaire distribuée à la fin de la guerre 1914-1918. La famille comptera sept enfants, dont Andrée, né le 12 mai 1902, Charles, né le 31 janvier 1904, Georgette, née le 17 juillet 1911 ; un de ses frères deviendra instituteur, puis préfet du Nord.

Après l’obtention du Certificat d’études, Henri Gorgue est apprenti chez un artisan menuisier. Puis il devient charpentier en fer.

Le 30 octobre 1926,à Romainville [1] (Seine-Saint-Denis – 93), il se marie avec Hélène Roulinat, bobineuse, dont il a une fille, née en 1928 dans la commune.

Pendant un temps, Henri Gorgue est domicilié au 128, avenue de Brazza (aujourd’hui Pierre-Kérautret) à Romainville. Dans les années 1937-1938, il habite au 2, cité Larochefoucault.

Il effectue son service militaire au 105e régiment d’artillerie de Bourges (Cher) – grosse artillerie… à cheval -, où il suit la formation du peloton d’élèves sous-officiers.

Il travaille avec son beau-père – lequel avait monté les pavillons des Halles de Paris et a travaillé à l’entretien de la Tour Eiffel – dans le Bâtiment, chez Leroux, un entrepreneur du 15e arrondissement. C’est alors qu’Henri Gorgue adhère au Parti communiste. Il est syndiqué à la CGTU.

En 1933, il est embauché comme ouvrier à l’atelier d’entretien des usines Citroën. Il apprend à tracer avec un ancien des chantiers navals.

En 1934, il adhère au Parti communiste, membre de la cellule Trois communes, à Romainville. Il est également un militant “notoire” du Secours Populaire (International, puis de France).

Dans les années 1935-1938, il est déclaré domicilié chez ses beaux-parents au 2, cité Larochefoucault, à Romainville.

Le 12 mai 1935, Henri Gorgue est élu conseiller municipal communiste de Romainville sur la liste de Pierre Kérautret. Désigné comme quatrième adjoint le 18 mai, il est délégué sénatorial titulaire en 1935 et 1938.

Lors des grèves de 1936, il est actif dans l’organisation du mouvement revendicatif dans son atelier chez Citroën (probablement licencié). Il est un temps secrétaire du Comité des chômeurs de Romainville.

Le 28 novembre 1936, Henri Gorgue part combattre comme volontaire dans les Brigades internationales avec son frère, Roger, et Boris Guimpel (un autre de ses frères s’y engagera). Il est nommé commissaire politique du 1er groupe d’artillerie, sous les ordres du commandant Rigaud, puis affecté pendant six mois au commandement de la place de Madrid, sous les ordres d’André Marty. Le 23 mars 1937, il est désigné comme commissaire politique du groupe d’artillerie de la base d’Almansa, dans la province d’Albacete.

Rentré en permission au début mars 1938, Henri Gorgue ne retourne pas en Espagne, mais reste en France pour organiser le rapatriement des volontaires. Il participe à la création de l’AVER [2], en s’occupant tout particulièrement de la section de Romainville.

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Insigne de l’Association
des volontaires pour
l’Espagne républicaine, ayant
appartenu à Christophe Le Meur.
Produit entre la mi-1938 et la mi-1939.
Coll. André Le Breton.

Il devient administrateur de la revue Paix et liberté fondée par Henri Barbusse, président du mouvement Amsterdam-Pleyel avec Romain Rolland.

Le 5 janvier 1939, il est embauché comme charpentier-serrurier à la ville de Bagnolet [1] (93) où il a été élu maire-adjoint ; en fait, il est responsable de l’atelier municipal qui s’occupe des bâtiments. Il est domicilié au 7, rue Camélinat.

Le 3 septembre 1939, Henri Gorgue est mobilisé comme sous-officier à Belfort.

Le 15 février 1940, à la requête du préfet de la Seine, le conseil de préfecture le déchoit de son mandat municipal pour n’avoir pas « répudié catégoriquement tout adhésion au Parti communiste » (loi du 20 janvier 1940).

Démobilisé le 1er septembre 1940 à Toulouse, Henri Gorgue reprend son activité professionnelle à Bagnolet. Il entre dans l’action clandestine au sein des premiers groupes armés de résistants, mais il est très surveillé par la police.

Le 3 janvier 1942 au matin, en sortant de chez lui, Henri Gorgue est arrêté par  des inspecteurs de la préfecture de police comme ancien d’Espagne ; le préfet de police a ordonné son internement administratif en application du décret du 18 novembre 1939. Il est conduit à la caserne désaffectée des Tourelles, boulevard Mortier, à Paris 20e, “centre surveillé” dépendant de la préfecture de police. Sa mère, qui le soutient, vient lui rendre visite.

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La caserne des Tourelles, boulevard Mortier, avant guerre.
Partagée avec l’armée d’occupation, elle servit surtout,
au début, à interner les « indésirables étrangers ».
Carte postale, collection Mémoire Vive.

Le 5 mai 1942 à l’aube, Henri Gorgue fait partie des 24 internés des Tourelles, pour la plupart anciens Brigadistes, que viennent « prendre des gendarmes allemands » afin de les conduire à la gare du Nord à destination du camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).

Entre fin avril et fin juin 1942, il est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

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Tergnier, Laon, Reims… Châlons-sur-Marne : le train se dirige vers l’Allemagne. Ayant passé la nouvelle frontière, il s’arrête à Metz vers 17 heures, y stationne plusieurs heures, puis repart à la nuit tombée. Francfort-sur-le-Main (Frankfurt am Main), Iéna, Halle, Leipzig, Dresde, Gorlitz, Breslau… puis la Pologne occupée. Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet 1942, Henri Gorgue est enregistré au camp-souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 45617 (ce matricule sera tatoué sur son avant-bras gauche quelques mois plus tard).

Après l’enregistrement, les 1170 arrivants sont entassés dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied à Birkenau où ils sont répartis dans les Blocks 19 et 20. Le 10 juillet, après l’appel général et un bref interrogatoire, au cours duquel ils déclarent leur profession, ils sont envoyés aux travail dans différents Kommandos.

Le 13 juillet – après les cinq premiers jours passés par l’ensemble des “45000” à Birkenau – Henri Gorgue est dans la moitié du convoi qui est ramenée à Auschwitz-I après l’appel du soir.

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Portail de l’entrée principale d’Auschwitz-I , le « camp souche ».
« Arbeit macht frei » : « Le travail rend libre »
Carte postale. Collection mémoire Vive.

Il peut exercer son métier dans un atelier : la serrurerie (Schlosserei). La qualité de son travail est reconnue et lui permet d’y rester. Il est alors assigné au Block 22a. Il vivra également dans les Blocks 15a, 13a, 9, 5a… Il fréquente l’espace devant le Block 15, lieu de rendez-vous des Français, le soir avant l’appel, qui y échangent des nouvelles.

Le 19 septembre 1942, Henri Gorgue est témoin de la mort de Jean Cazorla, ancien brigadiste comme lui, tué pour avoir voulu défendre un homme fatigué que frappait un Kapo.

Son Kommando de la serrurerie étant composé d’ouvriers spécialisés amenés à circuler dans la grande enceinte du camp, Henri Gorgue participe à l’organisation française de résistance à Auschwitz : ancienbrigadiste, il a en charge la préparation militaire.

Le 4 juillet 1943, comme les autres “politiques” français (essentiellement des “45000” rescapés), Henri Gorgue reçoit l’autorisation d’écrire (en allemand et sous la censure) à sa famille et d’annoncer qu’il peut recevoir des colis.

À la mi-août 1943, il est parmi les “politiques” français rassemblés (entre 120 et 140) et mis en “quarantaine” au premier étage du Block 11. Exemptés de travail et d’appel extérieur, les “45000” sont témoins des exécutions massives de résistants, d’otages polonais et tchèques et de détenus du camp au fond de la cour fermée séparant les Blocks 10 et 11.

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Auschwitz-I. Le premier étage du Block 11, avec ses fenêtres
partiellement obstruées. Carte postale. Coll. Mémoire Vive.

Dans un premier temps, Henri Gorgue est – avec Abel Buisson et Georges Brumm – parmi la dizaine de “45000” assignés à « la chambrée dite des “aristocrates”, composée de 30 à 40 détenus polonais, tchèques et divers (la plupart anciens kapos) qui attendent leur libération » (selon G. Brumm).

Le 12 décembre 1943, à la suite de la visite d’inspection du nouveau commandant du camp, le SS-Obersturmbannführer Arthur Liebehenschel, – qui découvre leur présence – et après quatre mois de ce régime qui leur a permis de retrouver quelques forces, ils sont pour la plupart renvoyés dans leurs Blockset Kommandos d’origine. Henri Gorgue retourne à la serrurerie.

Au mois d’août 1944, ayant appris la liquidation du camp de concentration (et d’extermination) de Maïdanek, l’organisation clandestine internationale d’Auschwitz se dote d’un groupe de combat (Kampfgruppe) pour préparer la libération du camp. Henri Gorgue est chargé de transporter des messages, camouflés dans des bouteilles vides d’acétylène, et de subtiliser une carte du front, alors qu’il effectue des réparations à la Kommandantur.

Le 7 septembre 1944 , il est dans le petit groupe de trente “45000” transférés – dans un wagon de voyageurs ! – au KL [3] Gross-Rosen, dans la région de Wroclaw ; matr. 41181. Dans ce camp Louis Eudier, du Havre, reçoit un mandat de 1000 francs envoyé par sa famille. Avec ses camarades Henri Gorgue et Robert Gaillard, ils décident d’acheter des cigarettes qu’ils échangent avec des détenus soviétiques contre des pommes de terre, qu’ils mangent en plusieurs jours. .

En février 1945, devant l’avancée soviétique, Gross-Rosen est à son tour évacué.

Henri Gorgue , Louis Eudier et Robert Gaillard sont dans une colonne de détenus conduits vers une gare située à plusieurs kilomètres du camp. Là, ils sont entassés à 120 dans des wagons plats destinés « au transport de betteraves ». Mais c’est un faux départ et ils sont reconduits au camp pour la nuit. Partant dans les mêmes conditions le lendemain, les trois compagnons arrivent à s’installer dans l’angle d’un wagon, ce qui leur permet de survivre à un transport de trois jours et deux nuit, sans boire ni manger, en plein hiver.

Ils sont parmi les dix-huit “45000” qui arrivent à Hersbrück, Kommando du KL Flossenburg (n° 84707). Henri Gorgue est affecté à un Kommando qui travaille dans le souterrain.

Le 8 avril, les trois camarades se retrouvent dans un nouveau train d’évacuation et s’installent de nouveau dans un angle de wagon. Le convoi les conduit au KL Dachau.

Le 29 avril 1945, le camp est libéré par l’armée américaine. Il semble que Henri Gorgue soit alors envoyé en Tchécoslovaquie. Mais il arrive à se faire rapatrier dans un avion qui atterrit au Bourget.

Rentré le 15 mai 1945, Henri Gorgue est le seul survivant des anciens volontaires pour l’Espagne républicaine déportés avec lui.

À son retour, il retrouve son domicile du 128, avenue de Brazza et est repris aussitôt comme contremaître par la ville de Bagnolet.

Militant syndical, il a un bureau à la Bourse du Travail pour le Groupement des Communaux de la Région parisienne.

Au début de l’année 1946, il témoigne au procès de Rudolf Hoess (ou Höss), commandant SS du camp d’Auschwitz, condamné à mort par le tribunal suprême polonais et pendu le 16 avril 1947 dans l’enceinte du camp. Quand il retourne à Auschwitz-Birkenau à cette occasion, Henri Gorgue constate que l’inscription « Arbeit Macht Frei » a été alors retirée ; dans l’un des six bâtiments restant du “Canada”, au milieu d’un grand tas de couverts, il trouve une cuillère en bois portant l’inscription « Compiègne » gravée sur le manche.

Il témoigne du décès de ses compagnons de déportation : André Cayzac, René Bordy, Pierre Gazelot.

En 1955, il dépose auprès du ministère des Anciens combattants et Victimes de guerre une demande d’attribution du titre de déporté résistant.

Henri Gorgue se retire à Bazarnes, commune de Cravant, dans l’Aisne où il est, en 1983, secrétaire général de l’Association départementale de la Fédération nationale des déportés et internés résistants patriotes (FNDIRP).

Il décède le 18 février 1998 à Tergnier (Aisne).

Notes :

[1] Romainville et Bagnolet : jusqu’à la loi du 10 juillet 1964, ces communes font partie du département de la Seine, qui inclut Paris et de nombreuses villes de la “petite couronne”, dont la “ceinture rouge” des municipalités communistes (transfert administratif effectif en janvier 1968).

[2] AVER : Amicale des anciens volontaires en Espagne républicaine.

[3] KL  : abréviation de Konzentrationslager (camp de concentration). Certains historiens utilisent l’abréviation “KZ”.

Sources :

- Dictionnaire biographique du Mouvement ouvrier français, sous la direction de Jean Maitron, renseignements recueillis par Claude Pennetier et Michèle Rault, disponible sur le site :http://biosoc.univ-paris1.fr/ahmo/b… (citant : Arch. Dép. Seine, DM3 ; versement 10451/76/1 ; listes électorales et nominatives – État civil de Paris et de Romainville – Arch. PPo. 101 – Arch. AVER – Paloma Fernandez, Le retour et l’action des anciens volontaires français des Brigades internationales en région parisienne de 1937 à 1945, Mémoire de Maîtrise, Paris I, 1984).
- Jean-Pierre Gast, Bagnolet 1939-1940, éd. Folies d’encre, août 2004, liste « Résistants déportés » page 285.
- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 246 (G. Brumm, entretien avec R. Arnould – 11-02-1973), 354, 358, 386 et 406.
- Cl. Cardon-Hamet, notice in 60e anniversaire du départ du convoi des 45000, brochure répertoriant les “45000” de Seine-Saint-Denis, éditée par la Ville de Montreuil et le Musée d’Histoire vivante, 2002, page 37.
- Archives de Paris, site internet, archives en ligne : registre des naissances du 20e arrondissement, année 1907 (20N 257), acte n° 1384 (vue 12/31).
- Dossiers des brigades internationales dans les archives du Komintern, fonds du Centre russe pour la conservation des archives en histoire politique et sociale (RGASPI), Bibliothèque de documentation internationale contemporaine (BDIC), campus de l’Université de Paris X-Nanterre, microfilms acquis par la BDIC et l’AVER-ACER, bobines cotes Mfm 880/1 (545.6.1041), 880/47 (545.2.112), 880/48 (545.2.290).
- Archives de la préfecture de police (Seine / Paris), Service de la mémoire et des affaires culturelles, le Pré-Saint-Gervais (Seine-Saint-Denis) : carton “occupation allemande”, dossiers divers et les Tourelles, quatre registres d’internés, militants communistes internés aux Tourelles (BA 1836) ; dossier individuel du cabinet du préfet (1 W 161-47828).
- Après Auschwitz, bulletin de L’Amicale d’Auschwitz, n°7, février-mars 1946.
- Transcription par Renée Joly de l’entretien vidéo réalisé par Claudine Ducastel et Gilbert Lazaroo le 15 mars 1997.
- Louis Eudier (45523), “Notre combat de classe et de patriotes, 1934-1945”, imprimerie Duboc, Le Havre, sans date (1977 ?), pages 114, 116 à 118.
- Femmes et hommes de Romainville, page 64.

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 22-11-2018)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.