© Archives de l’Institut d’histoire sociale CGT de Seine-Maritime.

© Archives de l’Institut d’histoire sociale CGT de Seine-Maritime.

Eugène, René, Friot naît le 4 octobre 1889 à la maternité de l’hôpital Lariboisière à Paris 10e, fils d’Amélie Friot, 25 ans, domestique, domiciliée au 64, rue des entrepôts, à Saint-Ouen (Seine / Seine-Saint-Denis), et de « père non dénommé ».
Le 1er juin 1918 (alors que la guerre n’est pas finie…), à Graville-Sainte-Honorine, commune limitrophe du Havre (Seine-Inférieure / Seine-Maritime [1]), Eugène Friot, alors ouvrier d’usine, se marie avec Jeanne Boudehen, née au Havre le 29 mai 1898. Le couple s’installe avec Louis Boudehen, métallurgiste de 58 ans, au 71, rue des Chantiers, à Graville-Sainte-Honorine, qui restera l’adresse d’Eugène Friot jusqu’à son arrestation. En 1919, cette commune est rattachée au Havre.
Eugène et Jeanne Friot auront deux filles, Renée Germaine, née chez ses parents le 9 juin 1919, et Louise Delphine, née en 1921. Le 11 novembre 1925, ils ont un fils, Eugène, Maurice, ; mais celui-ci décède le 30 juin 1926.Plus tard, Eugène Friot tient un commerce comme « épicier, débitant, cordonnier ?, patron » ; en 1931, la famille est assistée par une bonne.
Pendant un temps, Eugène Friot est adhérent au Parti radical-socialiste. En mai 1935, il est élu Conseiller départemental du Havre. Lors d’un autre scrutin, il est élu Conseiller municipal de Graville-Sainte-Honorine. En novembre 1938, selon la police, il donne son adhésion au Parti communiste. Dès lors, il en devient un propagandiste, prenant la parole dans les réunions pour défendre son programme politique. Dès 1937, il fait l’objet de poursuites pour avoir arboré un drapeau rouge à sa fenêtre. Le 18 juillet 1938, il est condamné à 16 francs d’amende avec sursis pour organisation d’une loterie clandestine (certainement afin de recueillir des fonds). Il reçoit « dans son établissement des communistes notoires ».Également militant syndical, Eugène Friot est aussi Président du Comité de défense du quartier des Neiges.

Le 23 juin 1941 [2] (?), il est arrêté par des agents du commissariat central du Havre, peut-être accompagnés d’Allemands (« Gestapo » ?). Il est incarcéré à la Maison d’arrêt du Havre, officiellement « sur ordre préfectoral ».

Le 22 décembre, il est transféré à Rouen (?) avec Auguste Gasrel.

Après son arrestation, son épouse tient son commerce avec leurs deux filles.

À une date restant à préciser, il est interné au camp allemand de Royallieu à Compiègne [3] (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).

Il est possible qu’il soit libéré.

En octobre 1941, il est de nouveau arrêté et conduit au camp de Royallieu.

Entre fin avril et fin juin 1942, il est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande, en application d’un ordre de Hitler.

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

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Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet 1942, Eugène Friot est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 45561, selon les listes reconstituées et par comparaison de la photo du détenu portant ce matricule avec un portrait “civil” datant d’avant son arrestation.

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Auschwitz, le 8 juillet 1942.
Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau,
Oświęcim, Pologne.
Coll. Mémoire Vive. Droits réservés.

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib, le premier créé.

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp) ; Eugène Friot se déclare alors comme cordonnier (Schuhmacher). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.

Le 13 juillet, après l’appel du soir, une moitié des déportés du convoi est ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp. Aucun document ni témoignage ne permet actuellement de préciser dans lequel des deux sous-camps du complexe concentrationnaire a alors été affecté Eugène Friot.

Il meurt à Auschwitz le 2 septembre 1942, d’après l’acte de décès établi par l’administration SS du camp (Sterbebücher) [4]. La cause mensongère indiquée pour sa mort est « entérite (diarrhée…) avec typhus » (Darmkatarrh bei Fleckfieber).

Le 9 juillet 1956, le Conseil municipal du Havre donne son nom à une rue de la ville.

Son nom est visible parmi les 218 militant.e.s inscrit.e.s sur plusieurs plaques apposées dans la cour du siège de la fédération du PCF, 33 place du Général de Gaulle à Rouen, avec un extrait d’un poème de Paul Éluard (Enterrar y callar) : « Frères, nous tenons à vous. Nous voulons éterniser cette aurore qui partage votre tombe blanche et noire, l’espoir et le désespoir. » et sous une statue en haut-relief dont l’auteur reste à préciser.

Monument dédié aux militant.e.s mort.e.s au cours de la guerre dans la cour du siège de la Fédération du PCF de Seine-Maritime à Rouen. © Claudine Ducastel pour Mémoire Vive (2014).

Monument dédié aux militant.e.s mort.e.s au cours de la guerre dans la cour du siège de la Fédération du PCF de Seine-Maritime à Rouen. © Claudine Ducastel pour Mémoire Vive (2014).

    Une des six plaques dédiées aux militant.e.s mort.e.s au cours de la guerre, au siège de la Fédération du PCF de Seine-Maritime à Rouen. © Claudine Ducastel pour Mémoire Vive.

Une des six plaques dédiées aux militant.e.s mort.e.s au cours de la guerre, au siège de la Fédération du PCF de Seine-Maritime à Rouen. © Claudine Ducastel pour Mémoire Vive.

Notes :

[1] Seine-Maritime : département dénommé “Seine-Inférieure” jusqu’en janvier 1955.

[2] L’ “Aktion Theoderich : L’attaque de l’Union soviétique, le 22 juin 1941, se fait au nom de la lutte contre le “judéo-bolchevisme”. Dès mai 1941, une directive du Haut-commandement de la Wehrmacht pour la “conduite des troupes” sur le front de l’Est défini le bolchevisme comme « l’ennemi mortel de la nation national-socialiste allemande. C’est contre cette idéologie destructrice et contre ses adeptes que l’Allemagne engage la guerre. Ce combat exige des mesures énergiques et impitoyables contre les agitateurs bolcheviks, les francs-tireurs, les saboteurs et les Juifs, et l’élimination allemande de toute résistance active ou passive. » Hitler est résolu à écraser par la terreur – à l’Ouest comme à l’Est – toute opposition qui viendrait entraver son effort de guerre.

Le jour même de l’attaque contre l’Union soviétique, des mesures préventives sont prises dans les pays occupés contre les militants communistes – arrestations et perquisitions à leur domicile – et des ordres sont donnés pour punir avec la plus extrême sévérité toute manifestation d’hostilité à la puissance occupante. En France, dans la zone occupée, au cours d’une opération désignée sous le nom de code d’Aktion Theoderich, plus de mille communistes sont arrêtés par les forces allemandes et la police française. D’abord placés dans des lieux d’incarcération contrôlés par le régime de Vichy, ils sont envoyés, à partir du 27 juin 1941, au camp allemand de Royallieu à Compiègne, administré par la Wehrmacht et réservé à la détention des “ennemis actifs du Reich”.

Au total, 1300 hommes y seront internés à la suite de cette action. Fin août, 200 d’entre eux font déjà partie de ceux qui seront déportés dans le convoi du 6 juillet 1942

[3] Sous contrôle militaire allemand, le camp de Royallieu a d’abord été un camp de prisonniers de guerre (Frontstalag 122), puis, après l’invasion de l’URSS, un « camp de concentration permanent pour éléments ennemis actifs ». À partir de septembre 1941, on y prélève – comme dans les autres camps et prisons de zone occupée – des otages à fusiller.

À partir du 12 décembre 1941, un secteur du sous-camp C est réservé aux Juifs destinés à être déportés à titre de représailles. Le camp des Juifs est supprimé le 6 juillet 1942, après le départ de la plupart de ses internés dans le convoi transportant les otages communistes vers Auschwitz. Les derniers détenus juifs sont transférés au camp de Drancy (Seine / Seine-Saint-Denis).

[4] Date de décès : l’état civil français a enregistré la date du 15 octobre 1942.

Sources :

- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, Éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 375 et 404.
- Cl. Cardon-Hamet, notice pour l’exposition de Mémoire Vive sur les “45000” et “31000” de Haute-Normandie, réalisée à Rouen en 2000, citant : “30 ans de luttes“, brochure éditée par la fédération du Parti Communiste de Seine-Maritime en 1964, p. 59 – Liste établie par la CGT, p. 5 – Liste établie par Louis Eudier (45523), du Havre, 2/1973 – Archives municipales du Havre (Madame S. Barot, Conservateur) – Avis de décès – Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (BAVCC), ministère de la Défense, Caen.
- Archives départementales de Seine-Maritime, Rouen, site de l’Hôtel du Département ; cabinet du préfet 1940-1946, enquêtes des commissariats de police, arrondissement du Havre (51 W 400) ; individus arrêtés par les autorités de Vichy ou par les autorités d’occupation, dossiers individuels de Dh à F (51 W 415), recherches conduites avec Catherine Voranger, petite-fille de Louis jouvin (“45697”).
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 2, page 318.
- Division des archives des victimes des conflits contemporains (DAVCC), ministère de la Défense, direction des patrimoines de la mémoire et des archives (DPMA), Caen : copies de pages du Sterbebücher provenant du Musée d’Auschwitz et transmises au ministères des ACVG par le Service international de recherches à Arolsen à partir du 14 février 1967, carton de A à F (26 p 840), acte n° 26930/1942.

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 12-08-2020)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.