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Auschwitz-I, le 8 juillet 1942.
Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau,
Oświęcim, Pologne.
Coll. Mémoire Vive. Droits réservés.

Bernard, Raymond, Chauveau naît le 4 mars 1920 à Tours (Indre-et-Loire – 37), chez ses parents, Louis Chauveau, 29 ans, « employé au chemin de fer d’Orléans », et Solange Marie Duplaix, 28 ans, couturière, son épouse, domiciliés au 6 rue des Cerisiers. L’un des deux témoins pour la présentation du nouveau-né à l’état-civil est son grand-père, François Chauveau, habitant à la même adresse.

À sa naissance, Bernard a deux frères, Lucien, né le 10 novembre 1914, et André, né le 13 novembre 1917, et une sœur, Raymonde, née en 1919, tous trois à Tours. Après Bernard, naissent Marcel, le 3 août 1922, et Gustave, le 31 août 1923, tous deux à Sainte-Radegonde.

Au recensement de 1926, clôt le 20 avril, la famille est installée au lieu-dit Les Loisirs à Saint-Pierre-des-Corps (37), commune limitrophe de Tours à l’ouest, entre le Cher et la Loire.

Avant guerre, la police française considère Bernard Chauveau comme un militant actif du Parti communiste, secondant son frère Lucien dans son activité de secrétaire local des Jeunesses communistes.

Au moment de son arrestation, Bernard Chauveau habite toujours chez ses parents, alors domiciliés au 60 avenue du Canal à Saint-Pierre-des-Corps. Il est célibataire. Il travaille comme forgeron (ou plombier ?).

Sous l’occupation, il poursuit son activité militante dans la clandestinité, participant à la fabrication et à la diffusion de journaux et de tracts, à l’inscription de slogans dans les rues.

Dans la nuit du 5 au 6 février 1942, à Tours, un petit groupe armé de résistance – au sein duquel le jeune cheminot Marcel Jeulin – tente une action de sabotage sur un dépôt de carburant situé entre les rues du Sanitas et du Hallebardier, près du passage à niveau n° 4. Une sentinelle allemande montant la garde est grièvement blessée par un coup de révolver.
Dès le lendemain, le commandant de la Feldkommandantur 588 fait apposer un avis ordonnant un couvre-feu et annonçant la possibilité d’autres mesures. De son côté, le préfet d’Indre-et-Loire promet une prime de 50.000 francs à qui donnera des informations permettant d’arrêter les résistants. Le soldat allemand blessé décède à l’hospice général Bretonneau de Tours, hôpital en grande partie réquisitionné par l’occupant. Le Feldkommandant fait alors insérer dans le journal local La Dépêche un autre avis selon lequel, si les coupables ne sont pas découverts, des arrestations de représailles seront opérées, suivies d’exécutions et de déportations « vers l’Est ».

Dans la nuit du 9 et 10 février, les autorités d’occupation procèdent à une vague d’arrestations visant trente-deux résidents juifs et onze hommes soupçonnés d’activité communiste de l’agglomération, dont elle connaît l’identité et le domicile. Ils sont d’abord regroupés à la Maison d’arrêt de Tours et/ou (?) au quartier Lassalle, ancienne caserne du 501e régiment de chars de combat (“cavalerie”).

Tours. L’entrée du quartier Lassalle, au fond du Champ de Mars, dans les années 1900. Carte postale, collection Mémoire Vive.

Tours. L’entrée du quartier Lassalle, au fond du Champ de Mars, dans les années 1900.
Carte postale, collection Mémoire Vive.

Le 9 février, Bernard Chauveau est ainsi arrêté à son domicile par la Feldgendarmerie.

Le 21 février, d’autres otages de représailles sont parallèlement fusillés sur deux sites éloignés. Six “politiques” précédemment condamnés à des peines de prison par des tribunaux militaires allemands sont exécutés la Maison centrale de Fontevrault (Maine-et-Loire). Quatorze autres sont exécutés au fort du Mont-Valérien (Seine / Hauts-de-Seine), dont treize juifs extraits du camp de Drancy, beaucoup ayant été pris lors de la rafle du 21 août 1941 [1].

Le 1er avril, 19 otages juifs sont transférés au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager), où ils sont probablement assignés au sous-camp juif (quartier C) ; sept seront déportés à Auschwitz le 5 juin (convoi n°2). Jacques Lévy et le jeune Roger Sommer seront déportés le 6 juillet. D’autres enfin seront déportés le 11 octobre 1943 sur l’île anglo-normande occupée d’Aurigny (convoi 641 ; à préciser).

Le 17 avril, onze otages “communistes” déportables – dont Bernard Chauveau – sont à leur tour transférés à Compiègne-Royallieu.

Le camp militaire de Royallieu en 1956. Au premier plan, en partant de la droite, les huit bâtiments du secteur A : « le camp des communistes ». En arrière-plan, la ville de Compiègne. Carte postale, coll. Mémoire Vive.

Le camp militaire de Royallieu en 1956.
Au premier plan, en partant de la droite, les huit bâtiments
du secteur A : « le camp des communistes ».
En arrière-plan, la ville de Compiègne. Carte postale, coll. Mémoire Vive.

Entre fin avril et fin juin 1942, celui-ci est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

TransportAquarelle

Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet 1942, Bernard Chauveau est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 45364 (sa photo d’immatriculation a été retrouvée).

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

© Mémoire Vive 2017.

© Mémoire Vive 2017.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib, le premier créé.

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.

Le 13 juillet, après l’appel du soir, une moitié des déportés du convoi est ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp. Aucun document ni témoignage ne permet actuellement de préciser dans lequel des deux sous-camps du complexe concentrationnaire a alors été affecté Bernard Chauveau.

Il meurt à Auschwitz le 19 septembre 1942, selon l’acte de décès établi par l’administration SS du camp (Sterbebücher, Nr. 31814/1942), alors qu’a lieu une grande sélection des inaptes au travail à la suite de laquelle 146 des 45000 sont inscrits sur le registre des décès en deux jours (probablement tués d’une piqûre intracardiaque de phénol ou gazés [2]) ; sur ce document, le motif de décès indiqué – très probablement mensonger – est « pneumonie »

Le 9 octobre 1946, l’officier de l’état civil alors en fonction au ministère des anciens combattants et victimes de guerre (ACVG) dresse l’acte de décès officiel de Bernard Chauveau « sur la base des éléments d’information figurant au dossier du de cujus, qui nous a été présenté ce même jour », en reprenant la date portée sur le Sterbebücher (probablement en se fondant sur une copie extraite du Sterbebücher qui serait parvenue au ministère le 28 juin précédent). Le même jour, le service central de l’état civil du ministère demande par courrier au maire de Saint-Pierre-des-Corps de transcrire cet acte dans les registres de sa commune.

Le nom de Bernard Chauveau est inscrit sur le Monument aux morts de Saint-Pierre-des-Corps. Un certain Lucien Chauveau y est également inscrite, mort « des suites d’internement » à 24 ans : s’agit-il de son frère ?
Le 30 janvier 1952, Solange Chauveau – en qualité d’ascendante – complète et signe un formulaire du ministère des ACVG pour demander l’attribution du titre de Déporté Résistant à son fils à titre posthume. Le 4 septembre 1953, la Commission départementale des internés et déportés de la résistance (DIR) d’Indre-et-Loire émet un avis défavorable. La commission nationale DIR reprend cet avis défavorable, suivie par le ministère qui prononce le rejet. De manière alors automatique (instruction n° 1110 SDF du 1er avril 1953), le dossier est soumis à l’avis de la Commission départementale de contrôle des déportés politiques qui émet un avis positif le 2 mars 1954. Quatre jours plus tard, le ministère établi l’acte portant la décision de refus du titre de DR (« Il résulte du dossier que l’intéressé ne remplit pas les conditions exigées par les dispositions combinées des articles R.286 & R.287 du Code des pensions »). Le 25 mars suivant, l’administration envoie la carte de Déporté politique n° 1109-100101 à Solange Chauveau.

La mention “Mort en déportation” est apposée sur l’acte de décès de Bernard Chauveau (J.O. du 14-11-1987).

Notes :

[1] Les otages fusillés le 21 février 1942 : Les exécutions d’otages en France au premier semestre 1942, article de Louis Poulhès, in Guerres mondiales et conflits contemporains, 2017/2 (n° 266), Presses Universitaires de France, pages 139 à 152. Serge Klarsfeld, Le livre des otages, Les éditeurs français réunis, Paris 1979, pages 50 à 52. Serge Klarsfeld et Léon Tsevery, Les 1007 fusillés au Mont-Valérien parmi lesquels 174 Juifs, Association des fils et filles des déportés juifs de France, 1995, page 46.

[2] Les chambres à gaz du centre de mise à mort situé à Birkenau fonctionnent principalement pour l’extermination des Juifs dans le cadre de la “Solution finale”, mais, jusqu’en mai 1943, elles servent également à éliminer des détenus, juifs ou non, considérés comme “inaptes au travail” (opération commencée en avril 1941, dans d’autres camps, sous le nom de code 14 f 13). Les détenus d’Auschwitz-I sélectionnés pour la chambre à gaz sont amenés en camions à Birkenau. Quelquefois, ils attendent la mort au Block 7 de ce camp.

Sources :

- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 150 et 153, 364 et 399.
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 2, page 165 (31814/1942).
- Site Mémorial GenWeb, relevé de Stéphane Le Barh et Catherine Rouquet (08-2003).
- Site de l’Association de Recherche et d’Études Historiques sur la Shoah en Val de Loire (AREHSVAL), page Otages attentat du Hallebardier 5 février 1942.
- Site Division des archives des victimes des conflits contemporains (DAVCC), ministère de la Défense, direction des patrimoines de la mémoire et des archives (DPMA), Caen : dossier individuel (21 P 435-652).

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 25-02-2022)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous dispose (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.